50 years of Italy at the United Nations
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Gaetano Mardino, Minister of Foreign Affairs
Statement in 11th GA session, plenary meeting 588
November 21, 1956
J’ai
l’agréable devoir, Monsieur le Président, de vous exprimer mes plus
vives félicitations pour votre nomination à la présidence de cette
assemblée. Le Gouvernement italien est particulièrement heureux
qu’une personnalité comme la vôtre, qui c’est acquis de si grands
mérites au sein de l’Organisation, ait été appelée à présider et
diriger nos travaux, et que cet honneur revienne aussi à votre noble
pays, qui prouve d’une manière vraiment admirable qu’il est possible
de joindre l’amour de l’indépendance à celui de la liberté et de la
justice.
Qu’il
me soit permis de renouveler l’expression de la reconnaissance du
peuple italien envers tous les Etats qui ont voulu l’admission de
l’Italie à l’Organisation des Nations Unies. Nous avons salué avec
une profonde satisfaction cette décision, non seulement parce qu’elle
nous permettait de nous associer désormais sans restriction aux autres
peuples qui oeuvrent pour la paix, pour le progrès social, en somme
pour la civilisation, mais aussi parce qu’elle apportait une impulsion
nouvelle à ce mouvement qui pousse l’Organisation des Nations Unies
vers l’universalité.
Le
Gouvernement italien est convaincu que les quelques difficultés de
fonctionnement qui n’ont cessé de se faire jour au cours des dernières
années sont destinées à s’amenuiser à mesure que la présence et la
collaboration de tous les Etats auront renforcé l’autorité de
l’Organisation. Lorsqu’a été décide, ici, l’admission de notre pays,
en même temps que celle d’autres pays, nous étions fondés à croire
qu’après une période de repliement, pour ne pas dire d’immobilité,
l’Organisation reprendrait sa marche en avant. Aujourd’hui, parlant
au nom du Gouvernement italien, je ne saurais exprimer notre sentiment
sous une forme plus Claire, plus précise qu’en formulant le voeu que
ne soit pas retardée encore l’admission d’autres Etats pleinement
dignes se siéger parmi nous, tells que le Japon. En formulant ce
voeu, nous sentons que nous exprimons une nécessité de vie et de
développement qui commande l’essor ultérieur de l’Organisation des
Nations Unies.
Par
son désir d’en faire partie et par son oeuvre tout entière, le
Gouvernement italien a montré, de longue date, qu’il faisait siennes
les fins poursuivies par l’Organisation des Nations Unies. A son
avis, l’Organisation représente le fruit le plus accompli de cette
éducation du genre humain qui, comme le disait Lessing, s’effectue à
travers les souffrances et les erreurs et qui synthétise en somme une
expérience directe du bien et du mal. Après tant de douleurs et de
sang, les peuples ont tiré des peines provoquées par la dernière
guerre mondiale la force surhumaine qui leur a permis de se remettre
debout et de regarder vers l’avenir avec la volonté de briser cette
tradition, jusqu’ici ininterrompue, de la guerre comme moyen extrême
de résoudre leurs différends réciproques. Maintes fois, dans un passé
pourtant récent, on a vu cette remontée se faire jour. Mais sans
doute n’était-t-elle pas assez ferme puisque finalement elle n’a pas
duré. Trempée par le drame de la dernière guerre, durcie par une
douleur plus longue et plus profonde, assagie par ses échecs mêmes,
cette volonté a engendré aujourd’hui l’Organisation des Nations Unies.
Nous
nous souvenons à présent – la chose est malheureusement naturelle –
plutôt de ce qu’elle n’as pas réussi a faire ou à éviter que de son
action positive ou des dangers qu’elle a écartés. Ce n’est pas
seulement pour revigorer notre foi, c’est pour rendre hommage à la
vérité, que nous rappellerons a la présence vigilante de
l’Organisation des Nations Unies et sa large contribution à un progrès
harmonieux pendant ces années d’accélération fébrile de tous les
phénomènes sociaux, économiques et politiques. Nous savons
parfaitement ce qui s’est passé, mais nous ignorons ce qui aurait pu
se passer sans l’action de l’Organisation. Des forces matérielles
énormes font l’orgueil du monde actuel. Si elles étaient devenues
l’instrument des passions en heurt, elles auraient pu engendrer des
destructions inouïes, des douleurs indicibles.
C‘est
surtout à l’Organisation des Nations Unies que nous les devons, s’il
n’en pas été ainsi jusqu’à présent. Il a été possible de parvenir à
instaurer et à maintenir le règne de la loi, même si périodiquement il
a fallu enregistrer des violations locales, même s’il a été nécessaire
de pactiser avec les auteurs de ces violations pour éviter des maux
encore plus grands à la communauté humaine. Les organes de la justice
à l’intérieur de chaque Etat ont connu un sort semblable au début de
leur histoire, lorsqu’ils se dressèrent devant les hommes, seule
solution en face de la violence, jusque-là considérée comme
l’instrument normal et habituel pour résoudre les controverses
particulières. Pendant une certaine période, d’ailleurs fort longue
Durant ces ages de lenteur, la justice coudoyait la violence. Elle la
limitait pourtant et a fini par la juguler. Comme organe actif de la
justice internationale, l’Organisation des Nations Unies se trouve
dans une phase analogue. Elle se heurte encore à des problèmes non
résolus et bien difficiles a résoudre, à des différences non éliminées
et bien difficiles à éliminer dans les rapports entres les peuples qui
se trouvent, pour ainsi dire, soumis à leur juridiction.
Néanmoins, en exprimant notre appréciation des résultats atteints au
cours de ces dernières années, nous ne pouvons pas ne pas regretter
que la fermeté de l’Organisation des Nations Unies, lorsqu’il
s’agissait de faire prévaloir la loi, n’ait pas toujours été balancée
par une action politique d’envergure lorsqu’il s’agissait de résoudre
les problèmes existants. Les interventions de l’Organisation ont
souvent été efficaces pour éviter le recours à des actions militaires
ou pour les restreindre et les contenir, et il faut lui en savoir gré.
Ses interventions ont été malheureusement moins efficaces pour
résoudre les divergences, autrement dit pour éliminer les causes de
conflit. D’aucuns sont allés jusqu'à dire que l’on s’est précisément
servi de l’organe créé en vue de sauvegarder la justice pour se mettre
à l’abri des conséquences de certains actes non conformes à la loi
internationale. Si les faits devaient trop fréquemment alimenter de
tels soupçons, le moment viendrait où chacun voudrait se faire justice
tout seul.
Il ne
suffit pas, par conséquent, de faire obstacle aux manifestations de la
guerre, il faut remonter à l’origine du mal et porter remède aux
causes qui rendent un conflit fatal. Une action négative ne s’est
jamais révélée génératrice de solution; tout au plus a-t-elle retardé
l’incendie qui couvait sous la cendre. L’inactivité au moment précis
de l’action peut rendre inévitable un conflit que l’on croyait éviter
en prétendant l’ignorer. Les événements qui se sont produits ces
jours-ci au Moyen-Orient en sont un témoignage aussi évident que
pénible. Les problèmes qui ont agité pendant des années cette partie
du monde ont été laisses trop longtemps sans solution. La crise
actuelle n’est qu’un épilogue inévitable d’une longue carence, que
dissimule mais ne modifie guère une action de police dont on doit
louer la diligence et l’abnégation sans en ignorer les limites. Les
événements actuels doivent nous servir de leçon: l’Organisation des
Nation Unies doit développer son action dans le sens d’une activité
plus grande sur le plan politique, car c’est la que résident les
conditions préliminaires de son activité juridictionnelle comme de ses
interventions économiques et sociales.
Dans
la phase ou le monde se trouve actuellement, il faut entreprendre une
action politique de vaste envergure, inventive et courageuse. Il faut
vaincre la peur d’affronter les problèmes cruciaux devant lesquels les
peuples se débattent. Ne pas s’attaquer à ces problèmes sous prétexte
qu’il est possible d’aller au-devant d’un insuccès, c’est aggraver
l’inquiétude actuelle, c’est ouvrir la voie à un conflit futur devant
lequel la bonne volonté pourrait s’avérer impuissante. Les problèmes
ne doivent pas pouvoir devenir si graves qu’ils puissent dépasser la
volonté des hommes responsables. La méthode des solutions partielles
ou provisoires, substituée systématiquement a celle des solutions
fondamentales des différends, peut déterminer a la longue un état de
confusion où il devient impossible d’établir qui est le responsable du
premier geste délictueux.
L’Organisation des Nations Unies représente l’instrument d’élection
pour placer la raison face à l’assaut des passions. Mais pour que son
action soit cohérente, elle doit renforcer et élargir le contrôle
rationnel des hommes responsables sur les événements de la vie
internationale. Voilà pourquoi il est indispensable, au lieu de
louvoyer, d’attaquer de front les grands problèmes qui pourraient
déchaîner contre la communauté humaine les forces incontrôlables de la
folie.
Les
événements les plus récents ont prouvé que le salut réside dans
l’autorité de l’Organisation des Nations Unies, mais aussi que cette
autorité est ébranlée parce qu’elle n’a pas été exercée au moment
opportun et pour la recherche des solutions nécessaires. La paix
aujourd’hui et la sécurité demain, pour tous les peuples, exigent que
l’autorité de l’Organisation soit renforcée. Mais cette autorité a
besoin d’être exercée si l’on veut qu’elle se renforce. Il n’est aucun
problème sérieux ayant trait à la communauté des peuples qui ne puisse
trouver une solution, à l’heure actuelle, à l’Organisation des Nations
Unies. Mais nous avons, ces jours-ci justement, appris que n’importe
quel problème s’aggrave dans la mesure même ou cette dernière se
montre inférieure à sa tâche. Il ne reste donc qu’une chose à faire:
nous unir plus que jamais afin de donner aux décisions de
l’Organisation la force et la sagesse que réclame le monde.
Nous
espérons que l’action entreprise par l’Organisation des Nations Unies
pour mettre fin aux opérations militaires en Egypte continuera à
remporter le succès, et que la décision vraiment historique
d’organiser un corps militaire pour l’exécution des résolutions de
cette assemblée pourra marquer et faciliter le passage a une nouvelle
phase des rapports internationaux. Mais nous pensons en même temps
qu’il est d’ores et déjà nécessaire d’amorcer une action, tant pour la
solution du problème du canal de Suez que pour la paix entre l’Etat
d’Israël et les Etats arabes.
On a
proposé la création immédiate, au sein de l’Organisation des Nations
Unies, des deux comités qui seraient charges d’établir les projets de
résolution nécessaires. Le Gouvernement italien est d’avis que cette
proposition devrait être promptement adoptée et mise a exécution et
que les deux comités devraient aborder leur tache sans délai.
Il est
urgent de résoudre les problèmes de fond qui ont provoqué la crise
égyptienne si nous voulons éviter que les causes qui l’ont déterminée
restant inchangées, cette crise ne se reproduise. Il est opportun et
nécessaire que le grand émoi suscité dans le monde par les récents
événements soit utilisé pour pousser l’Organisation des Nations Unies
à agir afin de trouver une solution coordonnée et stable des deux
problèmes. Peut-être y a-t-il quelqu’un qui a intérêt à mettre
l’accent sur l’intervention du Royaume-Uni, de la France et d’Israël,
cela dans l’unique but détourner l’attention de la situation
préexistante. Gare a nous si nous nous laissions distraire et si nous
gâchions cette occasion qui nous est offerte par le cours même des
événements d’éliminer en cette partie du monde les facteurs les plus
dangereux d’instabilité ! Quoi que l’on puisse penser de
l’intervention militaire en Egypte, nous devons reconnaître qu’il ne
suffit pas d’avoir mis fin aux hostilités ; il faut, au contraire,
modifier la situation préexistante moyennant un règlement apte a
rétablir la confiance et la sécurité dans une zone ou les conditions
n’ont fait qu’empirer en ces dernières année stériles et enquîtes.
Le
Gouvernement italien attache de l’importance, non seulement à l’action
politique, mais aussi à l’action économique et sociale ; l’une peut
pas aller sans l’autre quand ont veut donner à la loi la place qui lui
revient dans les rapports internationaux. Comment envisager la
suprématie d’une loi égale pour tous dans un monde où les conditions
de vie sont si inégales ? Depuis la fin de la dernière guerre, quelque
700 millions d’hommes, groupés en 18 nations, sont parvenues à
l’indépendance politique. Entre ces nouvelles nations autonomes, il
n’y a pas de commune mesure quant au stade de développement. Même
entre les nations parvenues auparavant à l’indépendance et à la
liberté, il existe des différences au point de vue des conditions de
vie.
L’Organisation des Nations Unies a une tâche essentielle à remplir :
atténuer ces inégalités par des interventions capables d’épauler les
peuples sous-développés dans leur niveau de vie. La misère engendre la
rancune, bacille dangereux qui attaque avec une terrible virulence les
rapports internationaux. L’activité créatrice de richesses mobilise
les rapports internationaux, tout comme elle mobilise les force vives
de l’organisme ; c’est en elle que résident la santé et la puissance
d’unification. Quand le monde est partout en activité, il reconquiert
la confiance et la concorde. L’Italie appuie de toutes ses forces les
initiatives qui assureront la circulation des biens, des capitaux et
du travail humain ; elle sait, en effet, qu’il y a là un des meilleurs
facteurs de progrès, sur le plan économique et social, pour l’entière
communauté des peuples. Il faut arriver à des échanges ininterrompus
et généraux si l’on veut que des initiatives particulières, comme
l’assistance technique et l’institution, en projet, d’un Fonds spécial
des Nations Unies pour le développement économique, exercent une
activité à la mesure des circonstance : sinon, tout se réduit a des
interventions restreintes et à un paternalisme sans envergure.
Pour
être vraiment utile, une action de ce genre doit s’appuyer, en outre,
sur des initiatives locales à caractère spontané. Mais jamais ces
dernières ne pourront surgir si le monde entier ne travaille pas à un
rythme accru et n’entraîne pas dans son mouvement tous les peuples de
la terre. Certes, l’essor économique facilite l’action politique ;
mais l’inverse est tout aussi vrai ; car on ne saurait concevoir un
essor économique sans une action politique capable de balayer les
défiances, la haine, la peur.
La
secrétaire général, dans l’introduction à son rapport annuel à
l’Assemblée, à dit : « Développer l’économie signifie pour de nombreux
pays entreprendre une action concertée pour provoquer une révolution
industrielle plus rapide que celle qui a transformé la civilisation de
l’Europe occidentale, sans toutefois devoir payer un prix aussi élevé
sur le plan social. » [A/3137/Add.1, p.5] Nous sommes d’accord sur
cette interprétation. Mais nous estimons qu’il est néanmoins
nécessaire de préciser que seul la coopération internationale, en
facilitant l’afflux des capitaux et des expériences techniques, peut
permettre le développement économique rapide des pays moins avancés
sans exiger que les peuples intéressées paient le prix insupportable
de la perte de leur liberté. Aussi est-il indispensable qu’un climat
de sécurité et de confiance puisse régner dans le monde.
L’Organisation des Nations Unies a eu le grand mérite d’aider à la
création de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Il y a là
une initiative à la fois politique et économique, où le Gouvernement
italien voit un instrument utile en vue de la collaboration
internationale en même temps que le résultat d’une communauté de vues
réconfortante. Dans sa lutte millénaire contre la nature, l’humanité
lui a finalement arraché le secret de son énergie la plus puissant.
Cette force nous terrorise si nous songeons à tout ce qu’elle peut
détruire. Mais ici, dans cette même salle, on a su transformer la
terreur en espoir. Un jour peut-être cette énergie permettra aux
hommes de résoudre leurs problèmes économiques et sociaux les plus
angoissants.
L’énergie atomique peut multiplier la productivité du labeur humain,
imprimer un nouvel élan a la vie civilisée sur toute l’étendue de la
planète. Si un jour cet espoir devient une réalité, on aura élimine du
même coup de terribles e tenaces causes de guerre. Le Gouvernement
italien souhaite qu’après lui avoir donné la vie, l’Organisation des
Nations Unies consacre tous ses efforts à aider, dans
l’accomplissement de sa tâche, l’Agence internationale de l’énergie
atomique.
Parmi
les questions qui figurent à l’ordre du jour de cette session, à côté
de problèmes techniques, de problèmes sociaux, et de problèmes
économiques, on a inscrit des problèmes politiques qui dressent les
uns contre les autres certains Etats Membres et menacent de ce fait la
collaboration internationale. La délégation italienne exprimera en
temps et lieu son avis sur chacun de ces problèmes.
Pour
l’instant, qu’il me soit permis de remarquer que mon pays, qui s’est
formé au cours du siècle dernier à travers des luttes après et
réitérée pour son indépendance, considère avec la plus vive sympathie
et la plus grande compréhension l’effort que les autres peuples
accomplissent en vue de conquérir leur souveraineté nationale. Mon
pays estime que cet effort non seulement ne doit pas être entravé,
mais qu’il doit être secondé, afin que la communauté internationale
puisse devenir active et responsable dans chacun de ses membres.
Mais
notre expérience nous a également appris que l’essor d’un peuple vers
son indépendance ne doit pas dégénérer en un isolement nationaliste,
qui est particulièrement favorable à l’éclosion des germes de la haine
et de la rancune. La lutte d’un peuple pour sa liberté doit être en
même temps une lutte pour le progrès de la coopération entre les
peuples. Nous vivons dans une époque dominée par la loi de
l’interdépendance. Il est juste, il est nécessaire que chaque peuple
devienne maître de lui-même ; mais on commettrait une grave erreur,
dont les conséquences retomberaient sur tout le monde, si l’on
détruisait les liens que l’histoire a crées, en les remplaçant, non
pas par des liens nouveaux et plus féconds, mais par le soupçon et par
l’hostilité. Dans les rapports entre les peuples, il faut aller de
l’avant, et ne jamais revenir en l’arrière, dans la voie de la
coopération. Un exemple de cette attitude se trouve, pensons-nous,
dans les relations qui existent entre, d’une part, l’Italie –
Puissance administrante pour le compte de l’Organisation des Nations
Unies – et d’autre part, la Somalie. Pendant ces deux dernières
années, le peuple somali a élu un parlement libre dont est issu un
gouvernement qui coopère avec la Puissance administrante. L’Italie
souhaite qu’aux termes de son mandat des rapports féconds de
collaboration dans tous les domaines puissent s’instaurer entre les
deux peuples, pleinement autonomes et souverains.
Notre
siècle recueille les fruits de ce qu’on a semé pendant les siècles
précédents. Il y a aujourd’hui des peuples en mesure de s’administrer
eux-mêmes, auxquels on ne peut dénier ce droit. Or, il existe bien des
moyens d’empêcher les peuples de s’administrer eux-mêmes. Nous
commettrions une erreur grave si nous condamnions les anciennes
méthodes sans répudier en même temps les méthodes nouvelles. Des
peuples fiers de leur ancienne civilisation sont tombés sous la coupe
d’une tyrannie nouvelle. Nous l’avons vu ces jours-ci dans l’exemple
douloureux et chevaleresque du peuple hongrois. Le droit des peuples à
se donner eux-mêmes un gouvernement de leur choix doit être
universel : on doit condamner toutes les atteintes à la volonté libre
d’un peuple, quelles que soient les doctrines par lesquelles ces
atteintes sont justifiées par leurs auteurs.
Ce
matin [586ème séance], le Ministre des affaires étrangères de l’Union
soviétique s’étonnait quand j’affirmais qu’il n’était pas possible à
celui qui est appelé à juger un meurtre d’enquêter, pour le justifier,
sur les opinions philosophiques ou politiques des victimes sans cesser
d’etre un juge. Je voudrais lui rappeler que, lorsqu’on tue un homme à
cause de sa foi, comme disait un courageux défenseur de la liberté de
conscience, l’acte que l’on commet est toujours l’acte brutal de tuer
un homme. Aucune étiquette sur le front de la victime ne peut changer
la nature du fait douloureux. Dans le cas de la Hongrie, c’est
l’écrasement des aspirations d’un peuple par un autre peuple.
L’Organisation des Nations Unies n’a pas le droit d’employer deux
poids e deux mesures ; elle ne peut pas frapper la modération des uns
tout en caressant la ruse et le cynisme des autres.
Pour
éviter le danger que cela ne se produise, il est indispensable, en
premier lieu, d’effectuer l’effort nécessaire pour boucher toutes les
fissures à travers lesquelles la ruse pourrait s’insinuer pour
pénétrer dans cette maison transparente de la justice. Une de ces
fissures est représentée par l’intervention militaire dans un autre
pays, à laquelle on prétend enlever le caractère d’agression en
affirmant qu’elle a été demandée par les autorités du pays où elle a
lieu. Je me permets de rappeler que, lorsque, en mars 1939, les
troupes nationale-socialistes envahirent la Tchécoslovaquie, le
gouvernement hitlérien justifia son intervention en affirmant qu’elle
avait été demandée par le Président Hacha, représentant alors la plus
haute autorité en ce pays. L’histoire a tout de même juge cette
intervention comme une des agressions les plus brutales et les plus
néfastes de notre temps. J’ose espérer que le représentant de l’Union
soviétique partage ce jugement.
Il est
donc nécessaire de définir l’agression d’une façon telle qu’aucun
agresseur n’ait la possibilité de se masquer en défenseur de l’ordre
et de la justice. N’importe quelle intervention militaire d’un Etat
dans un autre Etat, quelles qu’en soit les causes, doit être
considérée comme un acte d’agression si l’on veut que la loi
internationale ait une valeur universelle telle que la valeur
universelle de la loi pénale à l’intérieur de chaque Etat.
Une
autre fissure dangereuse dans laquelle il faut empêcher la ruse de
s’infiltrer est celle des volontaires. Si l’Organisation des Nations
Unies décide qu’une action militaire déterminée doit être suspendue,
cette décision s’impose à tous les Etats Membres comme obligation
d’accomplir les actes nécessaires à cette fin. Si un Etat Membre, je
ne dis pas demande, mais simplement permet à des ressortissants de se
rendre comme volontaires pour entretenir ou rallumer l’action
militaire suspendue par l’Organisation, il est évident qu’un tel Etat
manque à cette obligation et se met par là même en dehors de la loi
internationale.
Les
moyens actuels de communication et de transport permettent que, dans
un Etat détermine, des dépôts d’armes puissent se former dans
l’attente de l’arrivée prévue de prétendus volontaires. Au moment où
ces volontaires peuvent prendre les armes qui les ont précède, un cas
de guerre très singulier se produirait : du point de vue juridique, le
pays qui a fourni les armements e les hommes ne pourrait être déclare
responsable. Ainsi, il serait possible à un Etat puissant de faire la
guerre en la représentant comme fait, par un autre peuple. Non
seulement la loi serait violee, mais elle serait bafouée et
immobilisée.
Il
suffit de considérer cette hypothèse, pour laquelle aucun effort
exceptionnel d’imagination n’est requis, pour comprendre combien il
est urgent et important que l’Organisation des Nations Unies examine
sans aucun retard et avec la plus profonde attention le problème des
volontaires, afin d’établir des directives précises aptes à empêcher
que, sous l’apparence de la légalité, on n’accomplisse des actes
subversifs de l’ordre international. Il ne doit être permis à personne
d’invoquer et utiliser les bénéfices de la loi internationale et, en
même temps, de se prévaloir d’expédients susceptibles de lui assurer
impunément les avantages de sa violation.
Cette
onzième session de l’Assemblée générale devra discuter aussi le
problème du désarmement. Ces derniers jours, une grande puissance
militaire, par l’entremise de son représentant le plus qualifié,
semble avoir légèrement rallumé l’espoir tenace des peuples qu’il soit
enfin possible de limiter la course aux armements, qui représente un
des plus grands dangers de guerre. Nous pensons que toute
manifestation de bonne volonté doit être encouragée, mais nous ne
pouvons manquer de remarquer et de faire observer que ces dernières
semaines ont surtout fait diminuer, dans la vie internationale, la
confiance sans laquelle il est impossible d’arriver à des accords sur
le désarmement.
Afin
d’aplanir le chemin vers de tels accords, qui sont anxieusement
attendus par les peuples, il est nécessaire d’accomplir, par rapport
aux problèmes les plus graves et les plus urgents, des action
concrètes capables de rétablir la confiance. A cette fin, il est
indispensable que tous les Etats – et surtout les Etats les plus
puissants – prennent leurs décisions à la lumière de leurs devoirs
envers la communauté internationale. Désormais, personne ne devrait
plus avoir de doutes sur cette vérité que quiconque croit servir ses
propres intérêts en trahissant ses devoirs est destiné, tôt ou tard, à
subir les conséquences négatives de son calcul erroné parce qu’il
coïncide avec une mauvaise action.
Dans ce parlement du monde, nous devons exiger que chaque membre,
petit ou grand, avant de critiquer ou de condamner les autres, passe
ses propres actions au crible d’une conscience scrupuleuse. Chacun
d’entre nous doit s’attacher à se libérer des déchets parce qu’il faut
devenir capable de regarder aux choses hautes et pures. Tous, petits
ou grands, nous devons accomplir cet effort ; seulement ainsi nous
serons dignes de tous ceux qui, par leurs souffrances et leurs
sacrifices, par leur foi et leur espérance, ont permis que l’humanité,
à un certain point de sa marche harassante, érige cette grande
institution où s’expriment ses aspirations les plus sincères et les
plus nobles. |