50 years of Italy at the United Nations

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Gaetano Mardino, Minister of Foreign Affairs
Statement in 11th GA session, plenary meeting 588
November 21, 1956

J’ai l’agréable devoir, Monsieur le Président, de vous exprimer mes plus vives félicitations pour votre nomination à la présidence de cette assemblée.  Le Gouvernement italien est particulièrement heureux qu’une personnalité comme la vôtre, qui c’est acquis de si grands mérites au sein de l’Organisation, ait été appelée à présider et diriger nos travaux, et que cet honneur revienne aussi à votre noble pays, qui prouve d’une manière vraiment admirable qu’il est possible de joindre l’amour de l’indépendance à celui de la liberté et de la justice.

 

Qu’il me soit permis de renouveler l’expression de la reconnaissance du peuple italien envers tous les Etats qui ont voulu l’admission de l’Italie à l’Organisation des Nations Unies.  Nous avons salué avec une profonde satisfaction cette décision,  non seulement parce qu’elle nous permettait de nous associer désormais sans restriction aux autres peuples qui oeuvrent pour la paix, pour le progrès social, en somme pour la civilisation, mais aussi parce qu’elle apportait une impulsion nouvelle à ce mouvement qui pousse l’Organisation des Nations Unies vers l’universalité.

 

Le Gouvernement italien est convaincu que les quelques difficultés de fonctionnement qui n’ont cessé de se faire jour au cours des dernières années   sont destinées à s’amenuiser à mesure que la présence et la collaboration de tous les Etats auront renforcé l’autorité de l’Organisation.  Lorsqu’a été décide, ici, l’admission de notre pays, en même temps que celle d’autres pays, nous étions fondés à croire qu’après  une période de repliement, pour ne pas dire d’immobilité, l’Organisation reprendrait sa marche en avant.  Aujourd’hui, parlant au nom du Gouvernement italien, je ne saurais exprimer notre sentiment sous une forme plus Claire, plus précise qu’en formulant le voeu que ne soit pas retardée encore l’admission d’autres Etats pleinement dignes se siéger parmi nous, tells que le Japon.  En formulant ce voeu, nous sentons que nous exprimons une nécessité de vie et de développement qui commande l’essor ultérieur de l’Organisation des Nations Unies.

 

Par son désir d’en faire partie et par son oeuvre tout entière, le Gouvernement italien a montré, de longue date, qu’il faisait siennes les fins poursuivies par l’Organisation des Nations Unies.  A son avis, l’Organisation représente le fruit le plus accompli de cette éducation du genre humain qui, comme le disait Lessing, s’effectue à travers les souffrances et les erreurs et qui synthétise en somme une expérience directe du bien et du mal.  Après tant de douleurs et de sang, les peuples ont tiré des peines provoquées par la dernière guerre mondiale la force surhumaine qui leur a permis de se remettre debout et de regarder vers l’avenir avec la volonté de briser cette tradition, jusqu’ici ininterrompue, de la guerre comme moyen extrême de résoudre leurs différends réciproques.  Maintes fois, dans un passé pourtant récent, on a vu cette remontée se faire jour.  Mais sans doute n’était-t-elle pas assez ferme puisque finalement elle n’a pas duré.  Trempée par le drame de la dernière guerre, durcie par une douleur plus longue et plus profonde, assagie par ses échecs mêmes, cette volonté a engendré aujourd’hui l’Organisation des Nations Unies.

 

Nous nous souvenons à présent – la chose est malheureusement naturelle – plutôt de ce qu’elle n’as pas réussi a faire ou à éviter que de son action positive ou des dangers qu’elle a écartés.  Ce n’est pas seulement pour revigorer notre foi, c’est pour rendre hommage à la vérité, que nous rappellerons a la présence vigilante de l’Organisation des Nations Unies et sa large contribution à un progrès harmonieux pendant ces années d’accélération fébrile de tous les phénomènes sociaux, économiques et politiques.  Nous savons parfaitement ce qui s’est passé, mais nous ignorons ce qui aurait pu se passer sans l’action de l’Organisation.  Des forces matérielles énormes font l’orgueil du monde actuel.  Si elles étaient devenues l’instrument des passions en heurt, elles auraient pu engendrer des destructions inouïes, des douleurs indicibles.

 

C‘est surtout à l’Organisation des Nations Unies que nous les devons, s’il n’en pas été ainsi jusqu’à présent.  Il a été possible de parvenir à instaurer et à maintenir le règne de la loi, même si périodiquement il a fallu enregistrer des violations locales, même s’il a été nécessaire de pactiser avec les auteurs de ces violations pour éviter des maux encore plus grands à la communauté humaine.  Les organes de la justice à l’intérieur de chaque Etat ont connu un sort semblable au début de leur histoire, lorsqu’ils se dressèrent devant les hommes, seule solution en face de la violence, jusque-là considérée comme l’instrument normal et habituel pour résoudre les controverses particulières.  Pendant une certaine période, d’ailleurs fort longue Durant ces ages de lenteur, la justice coudoyait la violence.  Elle la limitait pourtant et a fini par la juguler.  Comme organe actif de la justice internationale, l’Organisation des Nations Unies se trouve dans une phase analogue.  Elle se heurte encore à des problèmes non résolus et bien difficiles a résoudre, à des différences non éliminées et bien difficiles à éliminer dans les rapports entres les peuples qui se trouvent, pour ainsi dire, soumis à leur juridiction.

 

Néanmoins, en exprimant notre appréciation des résultats atteints au cours de ces dernières années, nous ne pouvons pas ne pas regretter que la fermeté de l’Organisation des Nations Unies, lorsqu’il s’agissait de faire prévaloir la loi, n’ait pas toujours été balancée par une action politique d’envergure lorsqu’il s’agissait de résoudre les problèmes existants. Les interventions de l’Organisation ont souvent été efficaces pour éviter le recours à des actions militaires ou pour les restreindre et les contenir, et il faut lui en savoir gré. Ses interventions ont été malheureusement moins efficaces pour résoudre les divergences, autrement dit pour éliminer les causes de conflit. D’aucuns sont allés jusqu'à dire que l’on s’est précisément servi de l’organe créé en vue de sauvegarder la justice pour se mettre à l’abri des conséquences de certains actes non conformes à la loi internationale. Si les faits devaient trop fréquemment alimenter de tels soupçons, le moment viendrait où chacun voudrait se faire justice tout seul.

 

Il ne suffit pas, par conséquent, de faire obstacle aux manifestations de la guerre, il faut remonter à l’origine du mal et porter remède aux causes qui rendent un conflit fatal. Une action négative ne s’est jamais révélée génératrice de solution; tout au plus a-t-elle retardé l’incendie qui couvait sous la cendre. L’inactivité au moment précis de l’action peut rendre inévitable un conflit que l’on croyait éviter en prétendant l’ignorer. Les événements qui se sont produits ces jours-ci au Moyen-Orient en sont un témoignage aussi évident que pénible. Les problèmes qui ont agité pendant des années cette partie du monde ont été laisses trop longtemps sans solution. La crise actuelle n’est qu’un épilogue inévitable d’une longue carence, que dissimule mais ne modifie guère une action de police dont on doit louer la diligence et l’abnégation sans en ignorer les limites. Les événements actuels doivent nous servir de leçon: l’Organisation des Nation Unies doit développer son action dans le sens d’une activité plus grande sur le plan politique, car c’est la que résident les conditions préliminaires de son activité juridictionnelle comme de ses interventions économiques et sociales.    

 

Dans la phase ou le monde se trouve actuellement, il faut entreprendre une action politique de vaste envergure, inventive et courageuse. Il faut vaincre la peur d’affronter les problèmes cruciaux devant lesquels les peuples se débattent. Ne pas s’attaquer à ces problèmes sous prétexte qu’il est possible d’aller au-devant d’un insuccès, c’est aggraver l’inquiétude actuelle, c’est ouvrir la voie à un conflit futur devant lequel la bonne volonté pourrait s’avérer impuissante. Les problèmes ne doivent pas pouvoir devenir si graves qu’ils puissent dépasser la volonté des hommes responsables. La méthode des solutions partielles ou provisoires, substituée systématiquement a celle des solutions fondamentales des différends, peut déterminer a la longue un état de confusion où il devient impossible d’établir qui est le responsable du premier geste délictueux.

 

L’Organisation des Nations Unies représente l’instrument d’élection pour placer la raison face à l’assaut des passions. Mais pour que son action soit cohérente, elle doit renforcer et élargir le contrôle rationnel des hommes responsables sur les événements de la vie internationale. Voilà pourquoi il est indispensable, au lieu de louvoyer, d’attaquer de front les grands problèmes qui pourraient déchaîner contre la communauté humaine les forces incontrôlables de la folie.

 

Les événements les plus récents ont prouvé que le salut réside dans l’autorité de l’Organisation des Nations Unies, mais aussi que cette autorité est ébranlée parce qu’elle n’a pas été exercée au moment opportun et pour la recherche des solutions nécessaires. La paix aujourd’hui et la sécurité demain, pour tous les peuples, exigent que l’autorité de l’Organisation soit renforcée. Mais cette autorité a besoin d’être exercée si l’on veut qu’elle se renforce. Il n’est aucun problème sérieux ayant trait à la communauté des peuples qui ne puisse trouver une solution, à l’heure actuelle, à l’Organisation des Nations Unies. Mais nous avons, ces jours-ci justement, appris que n’importe quel problème s’aggrave dans la mesure même ou cette dernière se montre inférieure à sa tâche. Il ne reste donc qu’une chose à faire: nous unir plus que jamais afin de donner aux décisions de l’Organisation la force et la sagesse que réclame le monde.

 

Nous espérons que l’action entreprise par l’Organisation des Nations Unies pour mettre fin aux opérations militaires en Egypte continuera à remporter le succès, et que la décision vraiment historique d’organiser un corps militaire pour l’exécution des résolutions de cette assemblée pourra marquer et faciliter le passage a une nouvelle phase des rapports internationaux. Mais nous pensons en même temps qu’il est d’ores et déjà nécessaire d’amorcer une action, tant pour la solution du problème du canal de Suez que pour la paix entre l’Etat d’Israël et les Etats arabes.

 

On a proposé la création immédiate, au sein de l’Organisation des Nations Unies, des deux comités qui seraient charges d’établir les projets de résolution nécessaires. Le Gouvernement italien est d’avis que cette proposition devrait être promptement adoptée et mise a exécution et que les deux comités devraient aborder leur tache sans délai.

 

Il est urgent de résoudre les problèmes de fond qui ont provoqué la crise égyptienne si nous voulons éviter que les causes qui l’ont déterminée restant inchangées, cette crise ne se reproduise. Il est opportun et nécessaire que le grand émoi suscité dans le monde par les récents événements soit utilisé pour pousser l’Organisation des Nations Unies à agir afin de trouver une solution coordonnée et stable des deux problèmes. Peut-être y a-t-il quelqu’un qui a intérêt à mettre l’accent sur l’intervention du Royaume-Uni, de la France et d’Israël, cela dans l’unique but détourner l’attention de la situation préexistante. Gare a nous si nous nous laissions distraire et si nous gâchions cette occasion qui nous est offerte par le cours même des événements d’éliminer en cette partie du monde les facteurs les plus dangereux d’instabilité ! Quoi que l’on puisse penser de l’intervention militaire en Egypte, nous devons reconnaître qu’il ne suffit pas d’avoir mis fin aux hostilités ; il faut, au contraire, modifier la situation préexistante moyennant un règlement apte a rétablir la confiance et la sécurité dans une zone ou les conditions n’ont fait qu’empirer en ces dernières année stériles et enquîtes.

 

Le Gouvernement italien attache de l’importance, non seulement à l’action politique, mais aussi à l’action économique et sociale ; l’une peut pas aller sans l’autre quand ont veut donner à la loi la place qui lui revient dans les rapports internationaux. Comment envisager la suprématie d’une loi égale pour tous dans un monde où les conditions de vie sont si inégales ? Depuis la fin de la dernière guerre, quelque 700 millions d’hommes, groupés en 18 nations, sont parvenues à l’indépendance politique. Entre ces nouvelles nations autonomes, il n’y a pas de commune mesure quant au stade de développement. Même entre les nations parvenues auparavant à l’indépendance et à la liberté, il existe des différences au point de vue des conditions de vie.

 

L’Organisation des Nations Unies a une tâche essentielle à remplir : atténuer ces inégalités par des interventions capables d’épauler les peuples sous-développés dans leur niveau de vie. La misère engendre la rancune, bacille dangereux qui attaque avec une terrible virulence les rapports internationaux. L’activité créatrice de richesses mobilise les rapports internationaux, tout comme elle mobilise les force vives de l’organisme ; c’est en elle que résident la santé et la puissance d’unification. Quand le monde est partout en activité, il reconquiert la confiance et la concorde. L’Italie appuie de toutes ses forces les initiatives qui assureront la circulation des biens, des capitaux et du travail humain ; elle sait, en effet, qu’il y a là un des meilleurs facteurs de progrès, sur le plan économique et social, pour l’entière communauté des peuples. Il faut arriver à des échanges ininterrompus et généraux si l’on veut que des initiatives particulières, comme l’assistance technique et l’institution, en projet, d’un Fonds spécial des Nations Unies pour le développement économique, exercent une activité à la mesure des circonstance : sinon, tout se réduit a des interventions restreintes et à un paternalisme sans envergure.

 

Pour être vraiment utile, une action de ce genre doit s’appuyer, en outre, sur des initiatives locales à caractère spontané. Mais jamais ces dernières ne pourront surgir si le monde entier ne travaille pas à un rythme accru et n’entraîne pas dans son mouvement tous les peuples de la terre. Certes, l’essor économique facilite l’action politique ; mais l’inverse est tout aussi vrai ; car on ne saurait concevoir un essor économique sans une action politique capable de balayer les défiances, la haine, la peur.

 

La secrétaire général, dans l’introduction à son rapport annuel à l’Assemblée, à dit : « Développer l’économie signifie pour de nombreux pays entreprendre une action concertée pour provoquer une révolution industrielle plus rapide que celle qui a transformé la civilisation de l’Europe occidentale, sans toutefois devoir payer un prix aussi élevé sur le plan social. » [A/3137/Add.1, p.5] Nous sommes d’accord sur cette interprétation. Mais nous estimons qu’il est néanmoins nécessaire de préciser que seul la coopération internationale, en facilitant l’afflux des capitaux et des expériences techniques, peut permettre le développement économique rapide des pays moins avancés sans exiger que les peuples intéressées paient le prix insupportable de la perte de leur liberté. Aussi est-il indispensable qu’un climat de sécurité et de confiance puisse régner dans le monde. 

 

L’Organisation des Nations Unies a eu le grand mérite d’aider à la création de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Il y a là une initiative à la fois politique et économique, où le Gouvernement italien voit un instrument utile en vue de la collaboration internationale en même temps que le résultat d’une communauté de vues réconfortante. Dans sa lutte millénaire contre la nature, l’humanité lui a finalement arraché le secret de son énergie la plus puissant. Cette force nous terrorise si nous songeons à tout ce qu’elle peut détruire. Mais ici, dans cette même salle, on a su transformer la terreur en espoir. Un jour peut-être cette énergie permettra aux hommes de résoudre leurs problèmes économiques et sociaux les plus angoissants.

 

L’énergie atomique peut multiplier la productivité du labeur humain, imprimer un nouvel élan a la vie civilisée sur toute l’étendue de la planète. Si un jour cet espoir devient une réalité, on aura élimine du même coup de terribles e tenaces causes de guerre. Le Gouvernement italien souhaite qu’après lui avoir donné la vie, l’Organisation des Nations Unies consacre tous ses efforts à aider, dans l’accomplissement de sa tâche, l’Agence internationale de l’énergie atomique.

 

Parmi les questions qui figurent à l’ordre du jour de cette session, à côté de problèmes techniques, de problèmes sociaux, et de problèmes économiques, on a inscrit des problèmes politiques qui dressent les uns contre les autres certains Etats Membres et menacent de ce fait la collaboration internationale. La délégation italienne exprimera en temps et lieu son avis sur chacun de ces problèmes.

 

Pour l’instant, qu’il me soit permis de remarquer que mon pays, qui s’est formé au cours du siècle dernier à travers des luttes après et réitérée pour son indépendance, considère avec la plus vive sympathie et la plus grande compréhension l’effort que les autres peuples accomplissent en vue de conquérir leur souveraineté nationale. Mon pays estime que cet effort non seulement ne doit pas être entravé, mais qu’il doit être secondé, afin que la communauté internationale puisse devenir active et responsable dans chacun de ses membres.  

 

Mais notre expérience nous a également appris que l’essor d’un peuple vers son indépendance ne doit pas dégénérer en un isolement nationaliste, qui est particulièrement favorable à l’éclosion des germes de la haine et de la rancune. La lutte d’un peuple pour sa liberté doit être en même temps une lutte pour le progrès de la coopération entre les peuples. Nous vivons dans une époque dominée par la loi de l’interdépendance. Il est juste, il est nécessaire que chaque peuple devienne maître de lui-même ; mais on commettrait une grave erreur, dont les conséquences retomberaient sur tout le monde, si l’on détruisait les liens que l’histoire a crées, en les remplaçant, non pas par des liens nouveaux et plus féconds, mais par le soupçon et par l’hostilité. Dans les rapports entre les peuples, il faut aller de l’avant, et ne jamais revenir en l’arrière, dans la voie de la coopération. Un exemple de cette attitude se trouve, pensons-nous, dans les relations qui existent entre, d’une part, l’Italie – Puissance administrante pour le compte de l’Organisation des Nations Unies – et d’autre part, la Somalie. Pendant ces deux dernières années, le peuple somali a élu un parlement libre dont est issu un gouvernement qui coopère avec la Puissance administrante. L’Italie souhaite qu’aux termes de son mandat des rapports féconds de collaboration dans tous les domaines puissent s’instaurer entre les deux peuples, pleinement autonomes et souverains.   

 

Notre siècle recueille les fruits de ce qu’on a semé pendant les siècles précédents. Il y a aujourd’hui des peuples en mesure de s’administrer eux-mêmes, auxquels on ne peut dénier ce droit. Or, il existe bien des moyens d’empêcher les peuples de s’administrer eux-mêmes. Nous commettrions une erreur grave si nous condamnions les anciennes méthodes sans répudier en même temps les méthodes nouvelles. Des peuples fiers de leur ancienne civilisation sont tombés sous la coupe d’une tyrannie nouvelle. Nous l’avons vu ces jours-ci dans l’exemple douloureux et chevaleresque du peuple hongrois. Le droit des peuples à se donner eux-mêmes un gouvernement de leur choix doit être universel : on doit condamner toutes les atteintes à la volonté libre d’un peuple, quelles que soient les doctrines par lesquelles ces atteintes sont justifiées par leurs auteurs.   

 

Ce matin [586ème séance], le Ministre des affaires étrangères de l’Union soviétique s’étonnait quand j’affirmais qu’il n’était pas possible à celui qui est appelé à juger un meurtre d’enquêter, pour le justifier, sur les opinions philosophiques ou politiques des victimes sans cesser d’etre un juge. Je voudrais lui rappeler que, lorsqu’on tue un homme à cause de sa foi, comme disait un courageux défenseur de la liberté de conscience, l’acte que l’on commet est toujours l’acte brutal de tuer un homme. Aucune étiquette sur le front de la victime ne peut changer la nature du fait douloureux. Dans le cas de la Hongrie, c’est l’écrasement des aspirations d’un peuple par un autre peuple. L’Organisation des Nations Unies n’a pas le droit d’employer deux poids e deux mesures ; elle ne peut pas frapper la modération des uns tout en caressant la ruse et le cynisme des autres.   

 

Pour éviter le danger que cela ne se produise, il est indispensable, en premier lieu, d’effectuer l’effort nécessaire pour boucher toutes les fissures à travers lesquelles la ruse pourrait s’insinuer pour pénétrer dans cette maison transparente de la justice. Une de ces fissures est représentée par l’intervention militaire dans un autre pays, à laquelle on prétend enlever le caractère d’agression en affirmant qu’elle a été demandée par les autorités du pays où elle a lieu. Je me permets de rappeler que, lorsque, en mars 1939, les troupes nationale-socialistes envahirent la Tchécoslovaquie, le gouvernement hitlérien justifia son intervention en affirmant qu’elle avait été demandée par le Président Hacha, représentant alors la plus haute autorité en ce pays. L’histoire a tout de même juge cette intervention comme une des agressions les plus brutales et les plus néfastes de notre temps. J’ose espérer que le représentant de l’Union soviétique partage ce jugement. 

 

Il est donc nécessaire de définir l’agression d’une façon telle qu’aucun agresseur n’ait la possibilité de se masquer en défenseur de l’ordre et de la justice. N’importe quelle intervention militaire d’un Etat dans un autre Etat, quelles qu’en soit les causes, doit être considérée comme un acte d’agression si l’on veut que la loi internationale ait une valeur universelle telle que la valeur universelle de la loi pénale à l’intérieur de chaque Etat.   

 

Une autre fissure dangereuse dans laquelle il faut empêcher la ruse de s’infiltrer est celle des volontaires. Si l’Organisation des Nations Unies décide qu’une action militaire déterminée doit être suspendue, cette décision s’impose à tous les Etats Membres comme obligation d’accomplir les actes nécessaires à cette fin. Si un Etat Membre, je ne dis pas demande, mais simplement permet à des ressortissants de se rendre comme volontaires pour entretenir ou rallumer l’action militaire suspendue par l’Organisation, il est évident qu’un tel Etat manque à cette obligation et se met par là même en dehors de la loi internationale.     

 

Les moyens actuels de communication et de transport permettent que, dans un Etat détermine, des dépôts d’armes puissent se former dans l’attente de l’arrivée prévue de prétendus volontaires. Au moment où ces volontaires peuvent  prendre les armes qui les ont précède, un cas de guerre très singulier se produirait : du point de vue juridique, le pays qui a fourni les armements e les hommes ne pourrait être déclare responsable. Ainsi, il serait possible à un Etat puissant de faire la guerre en la représentant comme fait, par un autre peuple. Non seulement la loi serait violee, mais elle serait bafouée et immobilisée.  

 

Il suffit de considérer cette hypothèse, pour laquelle aucun effort exceptionnel d’imagination n’est requis, pour comprendre combien il est urgent et important que l’Organisation des Nations Unies examine sans aucun retard et avec la plus profonde attention le problème des volontaires, afin d’établir des directives précises aptes à empêcher que, sous l’apparence de la légalité, on n’accomplisse des actes subversifs de l’ordre international. Il ne doit être permis à personne d’invoquer et utiliser les bénéfices de la loi internationale et, en même temps, de se prévaloir d’expédients susceptibles de lui assurer impunément les avantages de sa violation.

 

Cette onzième session de l’Assemblée générale devra discuter aussi le problème du désarmement. Ces derniers jours, une grande puissance militaire, par l’entremise de son représentant le plus qualifié, semble avoir légèrement rallumé l’espoir tenace des peuples qu’il soit enfin possible de limiter la course aux armements, qui représente un des plus grands dangers de guerre. Nous pensons que toute manifestation de bonne volonté doit être encouragée, mais nous ne pouvons manquer de remarquer et de faire observer que ces dernières semaines ont surtout fait diminuer, dans la vie internationale, la confiance sans laquelle il est impossible d’arriver à des accords sur le désarmement.   

 

Afin d’aplanir le chemin vers de tels accords, qui sont anxieusement attendus par les peuples, il est nécessaire d’accomplir, par rapport aux problèmes les plus graves et les plus urgents, des action concrètes capables de rétablir la confiance. A cette fin, il est indispensable que tous les Etats – et surtout les Etats les plus puissants – prennent leurs décisions à la lumière de leurs devoirs envers la communauté internationale. Désormais, personne ne devrait plus avoir de doutes sur cette vérité que quiconque croit servir ses propres intérêts en trahissant ses devoirs est destiné, tôt ou tard, à subir les conséquences négatives de son calcul erroné parce qu’il coïncide avec une mauvaise action.

 

Dans ce parlement du monde, nous devons exiger que chaque membre, petit ou grand, avant de critiquer ou de condamner les autres, passe ses propres actions au crible d’une conscience scrupuleuse. Chacun d’entre nous doit s’attacher à se libérer des déchets parce qu’il faut devenir capable de regarder aux choses hautes et pures. Tous, petits ou grands, nous devons accomplir cet effort ; seulement ainsi nous serons dignes de tous ceux qui, par leurs souffrances et leurs sacrifices, par leur foi et leur espérance, ont permis que l’humanité, à un certain point de sa marche harassante, érige cette grande institution où s’expriment ses aspirations les plus sincères et les plus nobles.


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